mardi 22 janvier 2013

La caricature et la blessure.

Au sujet de ce poste je vais marcher sur des œufs. Le temps a passé, tout le monde s'est (un peu) calmé. Néanmoins le sujet reste sensible et comme je vais faire moi-même des généralisations, il n'est pas impossible que je tombe dans la caricature. Je m'en excuse par avance.

Je voudrais revenir sur l'affaire des caricatures version 2012. Je mets ici deux tribunes relativement symptomatiques du climat et des opinions de l'époque.

Raphaël Enthoven dans l'Express

Christian Makarian (toujours dans l'Express)

Ce poste n'essaiera pas de savoir si il est bien ou mal, dans un contexte tendu, d'aviver les tensions en caricaturant une croyance. Le point sur lequel je veux revenir, c'est "comment notre société a traité la question". Et surtout "s'est-elle posé les bonnes questions ?".

Ce qui me frappe c'est que les réactions et les débats n'ont eu lieu que sur un seul terrain, celui de l'idéologie et de la philosophie. D'ailleurs sur les deux articles mis en lien ci-dessus, l'un est signé par un philosophe. Comme si ce débat se déroulait dans l'éther, en dehors des contingences sociales et du pays matériel dans lequel nous vivons. Il n'était question que de croyance, absolument pas d'origine et de situation social.

A ce stade je vais faire un petit détours par la démographie et les cours de démographie reçus il y a hem... quelques temps à la fac. Le professeur nous expliquait que certaines populations, dans certains pays (les États-Unis par exemple) aiment être comptées, mais qu'en France c'est l'inverse. En France, il est interdit de faire une étude démographique basée sur une religion ou une couleur de peaux. En France, la religion est considéré comme quelque chose de personnel, aussi peu déterminant que la couleur d'un sac à main. Comme le soulignait une étude franco-britannique (autre pays où les communautés aiment se compter) en France on se dit tous français. On insiste sur nos ressemblances au prix de la reconnaissance de nos différences.

C'est probablement pour cela que le débat s'est entièrement déroulé sur le terrain des idées et n'a absolument pas essayé de resituer ceux qui prenaient la parole dans un contexte.Ceux qui parlaient devaient être tous les mêmes puisqu'ils étaient tous français et que l'on parlait de notre bien commun, la société française. Aucun besoin donc de qualifier les origines, l'état d'esprit, la culture, etc... de chacun, encore moins d'explorer d'autres champs (comme le juridique, la sociologie, la psychologie de masse etc...).

Voici un petit florilège

Personnellement j'avoue avoir été assez peu passionnée par ce débat car il m'a semblé pauvre et condamné à un éternel recommencement. Certain réclame le respect de leur liberté de rire et d'autre le respect de leur liberté de croire.

Pourtant dans un reportage France Info (que je ne retrouve malheureusement pas), une parole m'a interpelée. Le journaliste interviewait les manifestants "anti-caricature" et au milieu des revendications, l'un deux a dit, "nous n'avons pas de boulot, non n'avons pas de maison, nous n'avons pas de reconnaissance, laissez nous au moins notre religion". Il m'a semblé que cette phrase (relevée par personne) était particulièrement éclairante.
Ce que demandait ce jeune homme c'est qu'on respecte ce qu'il considérait comme la dernière parcelle intègre et respectable de lui même. Les conditions matérielles, il avait fait avec, mais son espérances et ses croyances devaient être respectées. Peut être ce jeune homme se sentaient-il comme l'Electre de Giraudoux, qui accepte de tout perdre tant que sa vérité tient debout et qui est elle-même portée par cette vérité.

Je me suis demandé pourquoi ces caricatures faisaient tant de bruit. Charlie Hebdo, comme le dit son équipe, caricature tout. Pourquoi la religion musulmane est-elle un sujet si sensible. Seule une poignée de catholique se sent blessée par Charlie Hebdo, pourquoi pas les autres ? Et pourquoi ne manifestent-ils pas ? Peut-être parce qu'ils ont, je cite, "un boulot, une maison, une reconnaissance".

On passait ainsi d'un problème philosophie à un problème purement social, sur lequel strictement personne ne s'est plongé. Qui a parlé des manifestants ? Qui leur a demandé d'où ils venaient ? D'où venait leur foi, quelle était leur CSP ? Rien. Rien en dehors des fameux signes manifestes de leur religion (barbes, vêtements, voile).

Moi je me demande combien de jeunes estiment qu'ils n'ont rien d'autre que leur foi. Combien estiment qu'on les méprise et qu'on a rien à leur offrir ? Est-ce que la vraie blessure n'est pas plutôt là, que dans 4 ou 5 dessins publiés dans un journal à tirage moyen ? Est-ce la blessure d'un génération, ou d'un seul jeune homme ? Combien sont-ils à penser comme lui ? Est-ce un vrai sujet ou juste les présupposées caricaturaux d'une jeune femme CSP+ bien intégrée et anti-cléricale ?

Et finalement quand on repense à ce jeune homme, n'aimerait-il pas tout simplement ce qu'a le journaliste de Charlie Hebdo ? Une voix, un statut social, une certaine reconnaissance et, sans parler de richesse, une certaine aisance financière.

Et enfin, pourquoi notre société n'a-t-elle pas jugé bon de se poser ces questions ?


Mon texte ne justifie pas le fait qu'on brule des locaux ou qu'on crache sur une religion. Encore une fois le problème n'est pas ici de déterminer qui a tord ou raison, mais d'essayer d'élargir le champ de la réflexion et pourquoi pas ? trouver des nouvelles pistes pour vivre ensemble.


Enfin il n’est pas non plus interdit de penser que ce poste est la plus grossière des caricatures...

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