samedi 30 avril 2016

Récréation italienne

Après un poste aussi dense : récréation ! 

J'aime la nourriture italienne. J'avoue, je confesse : elle me rend dingue. J'avais déjà eu de grandes émotions sur la tomate-mozzarella et je n'ai pas changé, Capri c'est pas fini. Ce qui tombe merveilleusement bien c'est que je connait un très chouette italien à la Défense.

Ça s'appelle Piccolino c'est situé 53 avenue Gambetta à Courbevoie. Ils sont adorables, leurs produits sont frais et pas massacrés par des temps de cuissons approximatifs et en plus il font à emporter. Que demande le peuple ?

Les prix sont un poil plus élevés qu'un restau de base (compter autours de 15 euros pour une pizza sophistiquée) mais la qualité suit. Par contre le midi il n'est pas idiot de réserver car une adresse comme ça forcément ça a du succès.

Là évidemment c'est pas over-sexy car c'était du "à emporter". Mais les pâtes au speck et safran et la bruschetta étaient terribles. Et copieuses.

Comment en est-on arrivé là ?

Ce blog reprend après quelques années de vide. J'ai d'ailleurs relu quelques postes, au passage, et je suis surprise de voir que si ma vie a beaucoup changé, il y a finalement peu de choses que je changerais sur mon blog (sauf le design mais ça ne compte pas).

En toute honnêteté je ne pensais pas reprendre la plume, mais là il y a un sujet qui me gratte comme le dirait Fred Vargas et quand ça gratte il faut gratter jusqu'au bout. Comme les piqures d'araignée de la guerre d'Espagne. Pour ceux qui ne comprennent pas, il ne vous reste plus qu'à inscrire Fred Vargas dans votre liste de lecture (je vous conseille Un lieu incertain, mon préféré).

Après cette longue introduction je vais venir au sujet : le voile.

Je dois avouer que c'est un sujet qui mûrit depuis longtemps chez moi. J'y pense souvent mais je ne sais pas toujours comment le penser. Alors j'essaye de lire, de cogiter... Il y a tant à dire que je le ferai en 2 postes. Le premier va retracer mon cheminement et brosser le contexte de celui-ci. Le deuxième... et bien vous verrez bien.

Le voile comme une affirmation adolescente

Le prologue de ma réflexion à commencé pré-ado en regardant un film de fiction avec mes parents sur ces adolescentes qui s'étaient battues pour porter le voile au collège. A l'époque je m'étais un peu opposé à eux qui me disaient que le problème était que ce voile était imposé par la famille. "Oui mais si il ne l'est pas ? Quand bien même ce serait le choix d'une seule de ces filles, doit-on l'infantiliser, nier son libre arbitre sous prétexte que pour d'autre il est imposé ?". Certes la crise d'adolescence pointait mais la question 15-20 ans après demeure. Que faire de ce choix délibéré ? Doit-on l'ignorer ? Doit-on lui opposer le non-choix ("tu ne peux pas choisir ce qui est un non-choix pour d'autre") ? Doit-on prendre en compte ce qui le sous-tend ? Vu l'age des filles et vu ma propre réaction (j'avais un âge similaire) il était évident que le voile servait ici d'affirmation de soit. La société entière se retrouvait, à mon sens, ébranlée par... un bête crise d'adolescence.
On était à la fin des années 90, début des années 2000.

La fille du "groupe de 10h00"

L'acte 1 de ma réflexion a commencé il y a quelques années (6-7 ans il me semble) quand je prenais régulièrement le bus à une heure creuse (10 heure, je crois) et que je croisais quasi systématiquement une femme voilée de la tête aux pieds avec des gants. OUI DES GANTS. Au mois de juillet. Le mois de juillet d'avant le dérèglement des saisons, hein, pas celui où on atteint misérablement le 20°, non non ceux où il fait 35° et où je suis en petite jupe et débardeur. Cette femme me mettait TRÈS TRÈS TRÈS mal à l'aise et je me sentais agressée sans être capable de dire pourquoi.

De plus j'ai le sentiment que les gens qui prennent le bus à 10h ont une place à part dans la société. Entendons nous bien, on a tous pris le bus à 10h. Mais ceux qui le prennent régulièrement sont particuliers : ils ne travaillent pas ou travaillent en horaires décalés. Regardez qui vous entoure à 10h00 : de jeunes mamans, des personnes âgées,... Cette femme rejoignait d'une certaine manière les gens qui sont "à part", les retraités, les inactifs, les travailleurs décalés, tous ceux qui pour une raison ou pour un autre ne sont pas à leur bureau à 10h00. Dans ma bouche, ça n'a rien de péjoratif, j'ai moi même pris le bus à 10h00, et d'une certaine manière j'ai toujours un rythme de travail non conventionnel. Je me suis souvent demandé quelle était son histoire et si son voile la classait d'emblée dans "le groupe de 10h" ou si la raison venait d'ailleurs. Et puis j'ai lu un article de Florence Aubenas dans son livre En France dans lequel elle suivait un groupe de copines voilées qui cherchaient du travail. Et il semblerait que oui le voile catapulte facilement dans "le groupe de 10h". Le point important, c'est que cette femme glaçait tout à coup mon environnement comme le font encore les femmes voilées de la tête aux pieds que je croise. Et qu'à l'époque j'étais incapable de savoir pourquoi.

Et on saute dans la lessiveuse...

L'acte 2 de ma réflexion a concerné les politiques : A peu prêt au même moment, le sujet est revenu sur la scène politique.
Je me souviens d'un prof d'histoire parlant de la Révolution comme d'un tourbillon qui a épuisé les gens. La fatigue revient apparemment souvent dans les témoignages. Et je dois avouer que sur l'histoire du voile, et de la religion plus globalement, je me sens dans le même état. J'ai le sentiment que notre société toute entière a sauté dans une lessiveuse qui nous met tous la tête à l'envers et nous épuise littéralement. On est lessivés.
C'est assez nébuleux, je ne me souviens plus comment le sujet du voile et de la religion est revenu sur la table à la fin des années 2000. En relisant de vieux articles tel celui de l'Obs, du Point ou de Libé il semblerait que ce soit Barack Obama qui ait rallumé le feu. Ce feu ne s'était pas réellement éteint depuis les émeutes de 2005. Ces émeutes n'avaient à l'époque rien de religieux, mais il se trouve que la population touchée par ces émeutes se trouvaient EN PARTIE concernée par les "questionnements religieux" de la société et concernée également par "le groupe de 10h00".
Je me souviens d'avoir brossé un tableau d'ensemble à une amie émigrée au Québec : "tu ne reconnaîtrais pas notre pays. Nous sommes tous à vif. Les pros-voile, ou même les simples musulmans non militants, se sentent légitimement attaqués injustement sur tous les plans et discriminés. Les politiques attisent les tensions et nous les "laïcards" nous nous sentons pris en otages entre les deux. La situation est intenable". Et puis les Printemps Arabes et la Syrie sont arrivés. Paradoxalement je pense que ça n'a pas fait que du mal à la France (par mal je fais bien évidemment allusion à DAECH), car cela a complexifié le sujet. La question n'était plus seulement le voile, mais la religion, la démocratie (notamment à travers l'élection d'un frère musulman en Égypte ou la place d'Ennahda en Tunisie), la guerre l'aspect sectaire des religions, la place des femmes, etc... Par ailleurs le féminisme a connu un certain engouement. Bien que je ne sois pas objective, je me souviens m'être fait la remarque que le mot "féminisme" était rarement autant apparu dans les journaux depuis que je les lisais. Des figures sont apparues telles que les Femen, Osez le féminisme, ou autre... Plus que leur propos, ce que je trouve intéressant c'est la place qu'elles ont gagné (ou qu'on leur a laissé, mais c'est un autre sujet).
La vague est un peu retombée, mais elle a élargie la question de la femme au delà de la question du voile.

A l'heure actuelle le problème est devenu tellement complexe et intègre tellement de dimensions que "ça part dans tous les sens". Je ne me sens donc plus prise dans un étau et d'une certaine manière je respire mieux. Les choix idéologiques (au sens noble du terme) qui s'offrent à moi sont suffisamment nombreux pour parfois me reconnaître dans certaines prises de position que j'assume de relayer. Mais nous sommes tous épuisés par l'hystérie qui prédomine. Et je pense que c'est loin d'être fini.

Pièce en 2 actes

L'acte 3... et bien en fait il n'y a pas d'acte 3. Oui, ce matin quand je me suis levée on annonçait l'incendie volontaire d'une mosquée en Corse. Oui, il y a eu les attentats de Paris. Mais à mon sens ce n'est pas un acte 3, c'est la matérialisation de l'acte 2, sa suite logique. Ça part toujours dans tous les sens, le cour des choses n'a pas réellement changé de sens.  Et je voudrais justement en profiter pour réaffirmer justement qu' IL N'Y A PAS D'ACTE 3. On a beaucoup entendu que nous sommes entrés en guerre. Les syriens apprécieront, si il en ont le temps, entre deux barils de TNT. Non, nous ne sommes pas en guerre. Nous sommes attaqués, peut être, nous avons subis des attentats, c'est un fait, qui nous ont ébranlés, sûrement. Mais nous ne sommes pas en guerre. Pas plus que nous l'étions en 95. Dans le bouleversement (légitime) que nous avons vécu à la suite des attentats, personne n'a parlé de 1995, de Saint-Michel, du GIA. Il faut dire que mes parents ne twittent pas et que c'est leur génération qui a du faire face en 95. Peut être aussi que cette sale guerre civile qui se déroulait de l'autre côté de la Méditerranée et qui avait fini par nous atteindre, on ne voulait pas trop s'y pencher. Ou qu'on a oublié, parce que justement on n'était pas en guerre et que nos vies ont continué. Bref on a parlé de tournant, d'entrée en guerre, etc... mais mon fils va toujours à l'école, j'ai toujours un travail, mon mari n'a pas été mobilisé et les réflexions post 2015 étaient déjà en germe dans les discussions 2014. Pour moi il n'y a pas (encore ?) d'acte 3.

Épilogue

Je m'en voudrais de finir un article sans un petit point Godwin qui me tend les bras. Vous ne l'entendez pas qui nous appelle ? Il frétille en coulisse depuis le début. Alors je vais vous raconter une histoire. C'est l'histoire d'un jeune homme qui va à une fête costumée entre potes.  Une fête totalement privée, celles qu'on aime quand on a 19 ans, qu'on célèbre l'anniversaire d'un pote avec du whisky-coca. Oui, on a des goûts pourris en matière d'alcool à 19 ans. J'assume. Et comme on est cool, on respecte le thème de la fête costumée. "Colons et indigènes". Oui c'est douteux, très douteux. Et comme on est con parce qu'on a, non pas 17 mais 19 ans, on veut choquer faire son malin et on prend un costume qui choque vraiment bien. Sauf qu'on est le fils du prince de Galles, que le costume c'est un costume nazi (justement les gars combattus par Ganny), à deux semaines des commémorations de la Shoah. La suite était dans tous les journaux en 2005.

Moralité : non on ne porte pas ce qu'on veut comme on veut. Essayez de vous balader avec une croix gammée sur un tee-shirt ou tout simplement à poil et vous verrez qu'en France on ne porte pas ce qu'on veut sur son corps. Paradoxalement, je pense qu'on vit tous mieux de cette privation de liberté.

Avec tout ça vous ne connaissez toujours pas mon opinion sur le voile. Vous ne comprenez toujours même pas le titre de mon article.

En réalité l'autre jour je regardais mon fils jouer au square avec des copains black blanc beur. Je repensais au discours d'une maman dans le documentaire de Nils et Bertrand Tavernier, De l'autre côté du périf' : "quand on voit les enfants jouer dans la cour il y a des noirs, des blancs, des beurs. Et en grandissant, ils gardent cette solidarité". En 97 cette phrase m'avait marquée et je trouvais que malgré tout, elle reflétait ce que j'avais vécu dans mon école "black blanc beur". Un an après, on célébrait cette aspect là de notre société avec la coupe 98. En voyant mon fils, j'avais le sentiment qu'on était dans l'un des derniers espaces privilégiés de mixité sociale tout en lisant sur mon smartphone la confrontation de deux mondes, les articles sur le 13 novembre 2015. Et je me demandais "Comment en est-on arrivé là ?". Voilà le sujet de mon article, le voile, mais plus globalement "Comment en est-on arrivé là ?" et comment j'en suis arrivée là de ma réflexion. Pour mon opinion sur le voile, il faudra attendre mon deuxième poste.

Si vous avez un peu de temps je vous conseille de regarder De l'autre côté du périf'.